|
À ces mots on cria haro sur le baudet. Un loup quelque peu clerc prouva par sa harangue Qu'il fallait dévouer ce maudit animal, Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal. Sa peccadille fut jugée un cas pendable. Manger l'herbe d'autrui ! quel crime abominable ! Rien que la mort n'était capable D'expier son forfait : on le lui fit bien voir. Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. Les animaux malades de la peste — Jean de la Fontaine Un mal qui répand la terreur Une peur sournoise qui s’infiltre dans les salles de répétition, sur les plateaux de tournage, dans les bureaux des théâtres ; une inquiétude sourde qui modifie les actes, les discours et les pensées de chacun ; un monstre bureaucratique qui méduse les oppositions : ce qu’on rassemble sous le nom générique de « contrôle » apparaît bien comme un mal qui répand la terreur.
Dernièrement, une pétition protestant contre l’attribution par les Assedic d’un numéro d’objet pour chaque nouveau spectacle a rassemblé plus d’un millier de signatures de représentants de compagnies. Ces derniers sentaient bien que ce dispositif ne serait pas simplement un « outil de traçabilité » protégeant le monde du spectacle comme les mêmes types de dispositifs protègent les consommateurs de viande bovine, mais un dispositif de flicage et de répression des comportements d’emploi des intermittents. Depuis plusieurs mois une politique de contrôle des intermittents et des structures qui les emploient est menée. Ces contrôles diligentés par plusieurs organismes ou ministères ont pris des formes ubuesques et parfois scandaleuses. On se souvient il y a un an de ces intermittents d’Annnecy appréhendés par la police, fouillés au corps et gardés à vue à la suite d’une plainte des Assedic. Aujourd’hui c’est un funambule à qui les Assedic réclament le remboursement d’un trop-perçu de cent mille euros, l’accusant d’être son propre employeur. D’un point de vue général, ce sont tous ceux qui ne sont pas employés en CDI qui sont désignés à l’opprobre, accusés d’être des fraudeurs professionnels ou d’occasion, coupables de ne pas travailler ou de ne pas travailler comme il faut sur le même rythme, sur le même mode qui serait celui des honnêtes gens, ceux qui bossent et se lèvent tôt. On peut s’indigner ou rire de ces discours nous dénonçant comme des assistés, on peut dénoncer la répression qu’ils annoncent. Cependant, cette suspicion lancée sur nos modes de vie, cette pénalisation de nos pratiques n’obéit pas à un air du temps, une météorologie médiatique dont les foudres s’abattraient au petit bonheur sur les enseignants, les cheminots en grève, les immigrés clandestins, les incendiaires du samedi soir.
Les dispositifs bureaucratiques de contrôles qui se multiplient (depuis la licence d’entrepreneur du spectacle jusqu’au nouveau numéro d’objet qui devra orner chaque feuille de salaire d’intermittent), les accusations de fraudes lancées par les Assedic dès qu’ils constatent une quelconque anomalie sur les feuilles de pointage, la mise en place par le gouvernement de nouveaux organes interministériels de lutte contre le travail illégal, les contrôles opérés sur les compagnies les plus inexpérimentées et les plus fragiles, ne sont ni un disfonctionnement imputable au zèle de quelque fonctionnaire obtus, ni la traduction courtelinesque d’une machine bureaucratique produisant naturellement du formulaire comme la forêt amazonienne produit du carbone.
Au contraire, ces contrôles obéissent à une volonté politique. Un dispositif politique Programmés depuis août 2003, les contrôles sont une des rares promesses tenues par les gouvernements successifs pour répondre au mouvement des intermittents.
La signature du protocole actuel régissant les annexes 8 et 10 était conditionnée par la CFDT à l’engagement par le gouvernement de mener ces contrôles. La CFDT l’a donc voulu, le Médef l’a signé, l’Unedic et le gouvernement l’applique. Il convient aussi de rappeler que la lutte contre les abus, responsables supposés du déficit des annexes 8 et 10, fut (à tort ou à raison) une exigence d’une partie du mouvement des intermittents. Étaient visés à l’époque les grandes entreprises de l’audiovisuel public ou privé déclarant comme intermittents des salariés travaillant de fait comme permanents (des permittents). On pourrait applaudir à ce sursaut vertueux. Mais, après nous être plongés depuis trois ans dans cette question des contrôles, force est de constater que ni l’enjeu économique, ni le scrupule moral ne sont centraux dans la dénonciation des abus et la lutte contre la fraude.
L’enjeu |
Créé le 9-10-2008 13:57:24 |