|
Oh ! qu'il faisait bon, dehors à la campagne ! C'était l'été. Les blés étaient jaunes, l'avoine verte, le foin était ramassé par tas dans les prés verts, et la cigogne marchait sur ses longues jambes rouges et parlait égyptien, car sa mère lui avait appris cette langue. Autour des champs et des prés il y avait de grandes forêts, et au milieu des forêts des lacs profonds ; oui, vraiment, il faisait bon à la campagne. En plein soleil s'élevait un vieux château entouré de douves profondes, et depuis le mur de base jusqu'à l'eau poussaient des bardanes à larges feuilles, si hautes que les petits enfants pouvaient se cacher debout derrière les plus grandes : l'endroit était aussi sauvage que la plus épaisse forêt, et une cane était là sur son nid elle couvait ses canetons qui devaient sortir des oeufs, mais elle commençait à en avoir assez, car cela durait depuis longtemps, et on venait rarement la voir ; les autres canards aimaient mieux nager dans les douves que de grimper et rester sous une feuille de bardane pour bavarder avec elle.
Enfin les oeufs craquèrent l'un après l'autre, on entendait: "clac clac !", tous les jaunes d'oeufs étaient devenus vivants et sortaient la tête.
- Eh bien ! comment ça va ? dit une vieille cane qui venait en visite.
Enfin le gros oeuf creva.
Le lendemain, il fit un temps délicieux ; le soleil brillait sur les bardanes vertes. La mère cane vint au bord de la douve avec toute sa famille. Plouf ! elle sauta dans l'eau .
Et ils arrivèrent dans la cour des canards. Le vacarme y était effroyable, parce que deux familles se disputaient une tête d'anguille, et ce fut le chat qui l'attrapa.
Mais le pauvre caneton qui était sorti de l'oeuf le dernier, et qui était si laid, fut mordu, bousculé et nargué, à la fois par les canes et les poules.
Ainsi se passa le premier jour, et ce fut de pis en pis ensuite. Le pauvre caneton fut pourchassé par tout le monde, même ses frères et soeurs étaient méchants pour lui, et disaient :
Le matin, les canards sauvages se mirent à voler, ils virent leur nouveau camarade.
Soudain, au-dessus d'eux, on entendit : Pif, paf ! et les deux jars sauvages tombèrent morts dans les roseaux, et l'eau devint rouge sang ; pif, paf résonna de nouveau, et des troupes d'oies sauvages s'envolèrent des roseaux et les coups de fusil éclatèrent encore. C'était une grande chasse ; les chasseurs étaient autour de l'étang, quelques-uns, même, dans les branches des arbres, qui s'étendaient jusqu'au-dessus des roseaux ; la fumée bleue formait comme des nuages au milieu des arbres sombres, et restait suspendue sur l'eau ; les chiens entrèrent dans la vase, plaf, plaf ! joncs et roseaux s'inclinaient de tous côtés ; c'était effroyable pour le pauvre caneton, qui tourna la tête pour la cacher sous son aile, et à ce moment même un grand chien terrible se trouva devant lui ; le chien avait une longue langue qui pendait et de vilains yeux horriblement brillants ; il approcha sa gueule du caneton, montra ses dents pointues... et plaf ! il s'en alla sans y toucher. Le calme ne revint que tard dans la journée, mais le pauvre petit n'osa pas encore se lever, il attendit plusieurs heures avant de regarder autour de lui, et alors il se dépêcha de quitter le marais le plus vite qu'il put ; il courut à travers champs et prés, le vent soufflait si fort qu'il avançait à grand-peine. Vers le soir, il atteignit une pauvre petite cabane de paysan ; elle était si misérable qu'elle ne savait pas de quel côté elle devait tomber, si bien qu'elle restait debout. La tempête faisait tellement rage autour du caneton qu'il dut s'asseoir sur sa queue pour y résister ; et cela devenait de pis en pis ; mais il s'aperçut que la porte avait perdu un de ses gonds, en sorte qu'elle était accrochée de guingois, et que par la fente il pouvait se faufiler dans la cabane c’est ce qu'il fit. C'était la demeure d'une vieille femme qui vivait avec son chat et sa poule, et le chat, qu'elle appelait Fiston, savait faire gros dos et ronronner, et même il jetait des étincelles, mais pour cela il fallait le caresser à rebrousse-poil ; la poule avait de très petites pattes basses, et pour cette raison s'appelait Kykkeli-courtes pattes elle pondait bien, et la femme l'aimait comme son propre enfant.
Le matin, on vit tout de suite le caneton étranger, et le chat se mit à ronronner et la poule à glousser. Et le caneton partit ; il nagea sur l'eau, il plongea, mais tous les animaux le dédaignaient à cause de sa laideur. Puis, l'automne arriva, les feuilles, dans la forêt, devinrent jaunes et brunes, le vent s'en empara, elles dansèrent de tous côtés, et en haut, dans l'air, on sentait le froid ; les nuages étaient lourds de grêle et de flocons de neige, et dans la haie le corbeau criait : "aô, aô !" tant il avait froid ; il y avait de quoi geler, vraiment ; le pauvre caneton n'était certes pas à son aise. Un soir, comme le soleil se couchait superbement, arriva tout un troupeau de beaux grands oiseaux, qui sortaient des buissons ; jamais le caneton n'en avait vu d'aussi ravissants, ils étaient entièrement d'une blancheur éclatante et avec de longs cous flexibles ; c'étaient des cygnes, ils poussèrent un cri très singulier, déployèrent leurs grandes ailes magnifiques, et s'envolèrent pour s'en aller vers des pays plus chauds, par delà les mers ; ils volaient très haut, très haut, et le vilain petit caneton éprouva une impression étrange il se mit à tourner en rond dans l'eau, comme une roue, tendit le cou en l'air vers ces oiseaux, poussa un cri si fort et si bizarre que lui-même en eut peur. Oh, il n'oublierait jamais ces charmants oiseaux, ces heureux oiseaux, et sitôt qu'il ne les vit plus, il plongea jusqu'au fond, et lorsqu'il revint à la surface, il fut comme hors de lui. Il ne savait pas le nom de ces oiseaux, ni où ils allaient, mais il les aimait comme jamais il n'avait aimé personne ; il n'en était pas du tout jaloux, comment aurait-il pu avoir l'idée de souhaiter une telle grâce, il aurait été heureux si seulement les canards l'avaient supporté parmi eux... pauvre vilaine bête.
L'hiver fut extrêmement froid ; le caneton dut tout le temps nager dans l'eau pour l'empêcher de geler complètement ; mais chaque jour, le trou dans lequel il nageait se rétrécissait davantage; une croûte s'y formait, qui craquait ; le caneton devait toujours y jouer des pattes, afin que l'eau ne se fermât pas ; il finit par être si épuisé qu'il ne bougea plus, et resta gelé, pris dans la glace. Mais ce serait trop triste de raconter toute la misère qu'il dut subir par cet hiver rigoureux... Il était dans le marais parmi les roseaux lorsque le soleil redevint brillant et chaud. Les alouettes chantaient, c'était un printemps délicieux. Soudain le caneton déploya ses ailes qui bruirent plus fort qu 'autrefois et l'emportèrent avec vigueur ; et en un instant il se trouva dans un grand jardin où les pommiers étaient en fleur, où les lilas embaumaient et inclinaient leurs longues branches vertes jusqu’aux douves sinueuses. Oh, qu’il faisait bon là, dans la douceur du printemps Et droit devant lui, sortant du fourré, s'avançaient trois beaux cygnes qui battaient des ailes et nageaient légèrement. Il reconnut les magnifiques bêtes et fut pris d'une étrange tristesse. - Je vais voler vers vous, oiseaux royaux, et vous me massacrerez, parce que j'ose, moi qui suis si laid, m'approcher de vous ! Mais peu importe ; plutôt être tué par vous que pincé par les canards, battu par les poules, poussé du pied par la fille de basse-cour, et gelé pendant l'hiver.
Et il vola dans l'eau, où il nagea vers les superbes cygnes, qui l'aperçurent et accoururent à lui à grands coups d'ailes.
Des petits enfants arrivèrent dans le jardin, jetèrent du pain et du grain dans l'eau, et le plus jeune s'écria :
|
Créé le 11-01-2009 11:13:47 |